Les Martyrs

François-René de Chateaubriand (1768-1848) est le plus grand écrivain français du XIXe, et l’un des plus riches de notre histoire. C’est donc un écrivain pour vous, pour les jeunes, pour les enfants. Voici son épopée oubliée mise à la portée de tous.

Faites la connaissance d’Eudore, que ses aventures mèneront à travers tout l’Empire et sur les rudes champs de bataille contre les Francs. Faites la connaissance de la ravissante Cymodocée qui l’accompagnera pour une aventure plus grande encore, d’Athènes à Jérusalem, et de Jérusalem à Rome. Partagez leurs joies, leurs épreuves, leurs espoirs, leur triomphe. Découvrez leurs parents, leurs frères, leurs amis, leurs persécuteurs. Vivez la fin du monde antique, avec ses sages, ses lâches, ses fourbes, ses havres de paix et ses déchirements.

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 Extraits

Cymodocée marchait en silence le long des montagnes. Ses yeux erraient avec ravissement sur ces retraites enchantées. Mais tout à coup elle s’aperçoit qu’elle a perdu le sentier de la montagne, et qu’elle n’est plus suivie de sa nourrice : elle pousse un cri qui se perd dans les airs ; elle implore les dieux des forêts ; ils ne répondent point à sa voix. Cymodocée entendit de loin le bruit des eaux : aussitôt elle court se mettre sous la protection de la déesse de la fontaine jusqu’au retour de l’aurore. Une source d’eau vive, environnée de hauts peupliers, tombait à grands flots d’une roche élevée ; au-dessus de cette roche, on voyait un autel dédié aux nymphes, où les voyageurs offraient des vœux et des sacrifices. Cymodocée allait embrasser l’autel, et supplier la divinité de ce lieu de calmer les inquiétudes de son père, lorsqu’elle aperçut un jeune homme qui dormait appuyé contre un rocher. Sa tête, inclinée sur sa poitrine et penchée sur son épaule gauche, était un peu soutenue par le bois d’une lance ; sa main, jetée négligemment sur cette lance, tenait à peine la laisse d’un chien qui semblait prêter l’oreille à quelque bruit ; la lumière de l’astre de la nuit, passant entre les branches de deux cyprès, éclairait le visage du chasseur. La fille de Démodocus crut alors que ce jeune homme était un dieu. Prise de panique, Cymodocée tombe à genoux, et s’écrie : « Diane, redoutable déesse, épargnez une jeune fille imprudente ; ne la percez pas de vos flèches ! Mon père n’a qu’une fille ! » À ces cris, le chien aboie, le chasseur se réveille. Surpris de voir cette jeune fille à genoux, il se lève précipitamment. « Comment ! dit Cymodocée confuse et toujours à genoux, est-ce que tu n’es pas un dieu ? » – « Et vous, dit le jeune homme non moins interdit, est-ce que vous n’êtes pas un ange ? » – « Un ange ! » reprit la fille de Démodocus. Alors l’étranger, plein de trouble, reprit : « Femme, levez-vous, on ne doit se prosterner que devant Dieu. » (…) Ces paroles jetèrent de nouveau la confusion dans le cœur de Cymodocée. Elle ne savait plus que penser de cet inconnu, qu’elle avait pris d’abord pour un immortel. Était-ce un impie qui errait la nuit sur la terre, haï des hommes et poursuivi par les dieux ? Était-ce un pirate descendu de quelque vaisseau pour ravir les enfants à leurs pères ? Cymodocée commençait à sentir une vive frayeur, qu’elle n’osait toutefois laisser paraître. Son étonnement n’eut plus de borne, lorsqu’elle vit son guide s’incliner devant un esclave délaissé qu’ils trouvèrent au bord d’un chemin, l’appeler son frère et lui donner son manteau pour couvrir sa nudité. « Étranger, dit la fille de Démodocus, tu as cru sans doute que cet esclave était quelque dieu caché sous la figure d’un mendiant pour éprouver le cœur des mortels ? » – « Non, répondit Eudore, j’ai cru que c’était un homme. »

Extraits du livre premier, La rencontre

 

« Ce que je viens d’avancer aurait-il besoin d’autres preuves que la conduite des chrétiens ? Partout où ils se glissent, ils font naître des troubles ; ils débauchent les soldats de nos armées ; ils portent la désunion dans les familles, ils séduisent des vierges crédules ; ils arment le frère contre le frère, l’époux contre l’épouse. Puissants aujourd’hui, ils ont des temples, des trésors, et ils refusent de prêter serment aux empereurs dont ils tiennent ces bienfaits ; ils insultent aux sacrées images de Dioclétien, ils aiment mieux mourir que de sacrifier à ses autels. Enfin, joignant le fanatisme à la dissolution, ils voudraient précipiter du Capitole la statue de la victoire, arracher de leurs sanctuaires vos dieux paternels ! Qu’on ne croie pas cependant que je défende ici ces dieux qui, dans l’enfance des peuples, ont pu paraître nécessaires à des législateurs habiles. Nous n’avons plus besoin de ces ressources. La raison commence son règne. Désormais on n’élèvera d’autel qu’à la vertu. Le genre humain se perfectionne chaque jour. Un temps viendra que tous les hommes, soumis à la seule pensée, se conduiront par les clartés de l’esprit. Je ne soutiens donc ni Jupiter, ni Mitra, ni Sérapis. Mais si l’on conserve encore une religion dans l’empire, l’ancienne réclame une juste préférence. La nouvelle est un mal qu’il faut extirper par le fer et par le feu. Il faut guérir les chrétiens eux-mêmes de leur propre folie. Hé bien, un peu de sang coulera ! Nous nous attendrirons sans doute sur le sort des criminels ; mais nous admirerons, nous bénirons la loi qui frappera les victimes pour la consolation des sages et le bonheur du genre humain. »

Extrait du livre seizième, la plaidoirie du persécuteur